Les réformes de 2000 sont une mise sous tension du système de recherche. Le temps de la recherche n’a probablement jamais été aussi dissocié du temps de la décision politique. C’est d’ailleurs là que réside toute la difficulté à l’heure actuelle. Il faut absolument que l’on parvienne à accorder le temps de la réforme non seulement avec le temps politique mais aussi le temps économique.
Le schéma ci-dessus est une représentation du système d’enseignement supérieur et de recherche tel qu’il se présente aujourd’hui.

L’échelon politique
Les politiques publiques sont portées par le Parlement qui décide du contenu des politiques publiques au sens large et donc des politiques publiques d’enseignement supérieur et de recherche. Le Gouvernement propose quant à lui ces politiques en s’appuyant sur un certain nombre d’acteurs au niveau politique : le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche que j’ai mis au centre du dispositif, mais aussi les autres ministères légitimes à porter des politiques de recherche : les ministères en charge de l’énergie, de l’agriculture, de la santé, de la défense qui disposent en effet chacun de politiques de recherche avec des services au sein de l’administration centrale souvent plus important que celui du ministère de la recherche lui-même. Les régions ont également un rôle inhérent à leur responsabilité en matière de recherche qui ne pourra qu’être renforcé dans la loi de décentralisation programmée pour le début de l’année prochaine.
L’Europe.
Toute cette stratégie s’inscrit dans une politique permettant à notre pays de jouer tout son rôle dans la construction de l’espace européen de la recherche. La contribution de l’Europe représente aujourd’hui 6% des budgets de la recherche des pays de l’Union, ce qui est assez peu en regard du budget global. Dans un pays comme le nôtre où le budget de recherche est très fortement lié à la masse salariale, si on enlève un peu plus de 60% du budget correspondant à la masse salariale et 30% correspondant aux infrastructures, on réalise que les moyens dont disposent les organismes de recherche pour faire de la politique scientifique sont faibles. Des structures de financement sur projet ont été créées et on a mis en place les investissements d’avenir. L’Europe représente donc un réservoir de financement, de coopération et de construction d’une vision européenne de la recherche. Dans la compétition internationale structurelle dans le monde de la recherche aujourd’hui, l’échelle européenne reste la plus pertinente pour travailler.
Les « producteurs » de science, de connaissances, d’innovation.
Il existe trois grands types d’opérateurs : les organismes de recherche ; les universités et les écoles ; les entreprises. Nous savons que l’objectif porté par Lisbonne et consistant à voir 3% du produit intérieur brut consacré à la recherche en 2010, n’a pas été atteint. On est aujourd’hui en France à 2,26. Sur le plan de la dépense intérieure de recherche et de développement public (DIRD A), on se situe aux alentours de 0,7%, soit à peu près le même pourcentage qu’en Allemagne, au Japon ou aux Etats-Unis (entre 0,68 et 0,75%). Nous sommes donc dans la moyenne du financement public consacré à la recherche. La difficulté de notre pays concerne la recherche et le développement industriel. Avec une DIRD E de 2,26%, le Japon dispose donc d’une recherche qui atteint 3,60% de son PIB. L’effort des entreprises y est extrêmement valorisé. En France, on atteint péniblement 1,30%. Les partenariats entre le monde de la recherche, le monde de l’enseignement supérieur, le monde des entreprises et toutes les structures de coopération, constituent les bras armés de notre système. Mais il faut absolument que nous arrivions à simplifier ce système. Depuis trois ans, nous avons donc mis en place des alliances nationales par grands enjeux sociétaux regroupant l’ensemble des opérateurs (organismes de recherche, établissement d’enseignement supérieur, écoles, etc.). Nous avons ainsi créé cinq alliances positionnées chacune sur de grands enjeux sociétaux dans le domaine de la santé, du numérique, de l’énergie, de l’environnement, et des sciences humaines et sociales. Depuis plusieurs années, nous consacrons une partie de nos efforts au lien entre les sciences humaines et sociales et les sciences expérimentales de façon à ce que l’ensemble des disciplines de sciences humaines et sociales soient totalement engagées dans la définition des objets de recherche très tôt.
La programmation
Pour assurer la programmation des moyens et la définition d’une stratégie, un certain nombre de structures ont été créées. Bras armé du ministère créé en 2005, l’ANR introduit la culture du financement sur projet en finançant sur un mode compétitif des projets amont de recherche fondamentale ou des projets de recherche partenariale. Elle introduit également un certain professionnalisme dans l’évaluation des projets permettant d’éviter la « répartition à l’amiable ». Nous avons également mis en place OSEO, un dispositif qui a repris les activités de l’ANVAR, une agence chargée de financer l’innovation issue des laboratoires. Nous disposons par ailleurs de tout un ensemble de structures publiques ou privées (les fondations de recherche médicales ou les associations de malades) qui concourent au financement de la recherche sur des axes particuliers. L’objectif est aujourd’hui de définir une stratégie d’ensemble pour notre pays qui ait une bonne visibilité en interne déjà pour que chacun comprenne comment il concourt à la dynamique collective.
Une mise sous tension du système
Le système de recherche et d’innovation a été mis sous tension et cette mise sous a pris plusieurs formes :
- Une orientation sur les enjeux économiques et sociétaux. Par le financement sur projet et la programmation de l’ANR mais aussi par la programmation du programme cadre de recherche et développement européen, nous avons défini de grandes priorités correspondant aux grands enjeux sociétaux. Nous avons défini en 2009 une stratégie nationale de recherche et d’innovation en demandant à des groupes de scientifiques de réfléchir sur les priorités de recherche et sur la manière dont la recherche peut se mobiliser pour y répondre. Peut-être insuffisamment décliné sur le mode opérationnel, cet exercice a eu le mérite d’introduire l’idée que la recherche ne pouvait plus simplement se présenter « hors sol », comme une acquisition de connaissances nouvelles totalement déconnectée des enjeux et des attentes de la société.
- Des coopérations entre les organismes et les universités au travers de la mise en place de pôle de recherche et d’enseignement supérieur. On a également mis en place des contrats de projet État-Régions pour porter des projets en régions. Enfin, via la LRU et les investissements d’avenir, on a poussé avec les initiatives d’excellence, les acteurs de l’enseignement supérieur à réfléchir ensemble. Qui aurait pu dire en 2006 que cinq universités fusionneraient à tel ou tel endroit ?
- Une coopération des acteurs qui déclinent cette stratégie nationale au travers des alliances que j’ai mentionnées précédemment.
- Le rapprochement de la recherche publique et de la recherche privée. On créé des laboratoires communs entre les entreprises et les organismes publics depuis déjà 20 ans. Aujourd’hui, on veut aller plus loin et disposer de structures en co-gouvernance avec de véritables joint ventures entre le public et le privé pour conduire des projets innovants. C’est ce que nous avions essayé de faire, sans atteindre la portée imaginée, avec les Instituts Carnot sur le modèle des Fraunhofer allemands.
- Une dynamisation au plan national par l’investissement. Grâce aux investissements d’avenir, une vingtaine de milliards d’euros ont été consacrés à l’enseignement supérieur et à la recherche. Si l’on distingue le financement cash donné sur les projets et le financement lié à des intérêts d’emprunt sur des sommes placées à la Caisse des dépôts, c’est environ 7 milliards d’euros qui sont donnés sur 10 ans aux projets sélectionnés (financements de cohortes dans le domaine de la santé, d’instituts de recherche technologiques, de laboratoires d’excellence, d’Initiatives d’excellence qui fédèrent des universités sur le territoire, d’équipements d’excellence sur des grands projets emblématiques, etc.).
- Une contrainte sur l’alignement sur des standards internationaux en matière de publications, de classements, d’autonomie des universités et de participations aux appels d’offre européens. Ce n’est même pas un choix, c’est une obligation. Mais notre système est lourd à réformer. Contrairement à un pays émergent comme le Brésil où l’on voit apparaître des systèmes très innovants en matière d’évaluation des chercheurs, de financement sur projet, etc., en France toute évolution du système suppose de tenir compte de toutes les composantes déjà existantes.